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Faut-il manger moins de viande pour réduire son impact carbone ?
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Produire de la viande émet du méthane, du protoxyde d'azote et du CO₂, trois gaz qui réchauffent le climat. Explications, étape par étape.
On y pense rarement en dévorant une entrecôte... Et pourtant, manger de la viande est loin d'être neutre pour le climat. Le secteur de l'élevage pèse même très lourd dans le dérèglement climatique en cours : en France, il représente 80 % des émissions de l'agriculture, si l'on prend en compte les animaux et les cultures destinées à les nourrir. Or l'agriculture elle-même est la deuxième source nationale d'émissions de gaz à effet de serre. De la ferme à l'assiette, d'où viennent ces émissions ?
Premièrement, les vaches et les moutons produisent des rots et des pets. Autrement dit, la fermentation gastrique due à leur digestion crée du méthane qui, une fois relâché dans l'atmosphère, est un puissant gaz à effet de serre. Or ce processus n'est pas anecdotique : cette fermentation, naturelle chez les ruminants, représente la moitié des émissions dans les fermes d'élevages. Néanmoins, des marges de progression existent, selon Jean-Baptiste Dolle, responsable du service environnement à l'Institut de l'élevage :
“On peut réduire ces émissions en améliorant l'alimentation des animaux, par exemple avec du lin ou certaines algues, ou encore en travaillant sur la génétique des bovins”.
Deuxième étape, les déjections : près du quart des émissions de l'élevage proviennent des bouses et autres excréments. Celles-ci dégagent du méthane et du protoxyde d'azote, un autre gaz à effet de serre, au pouvoir également très réchauffant. De ce côté, il est possible de mieux gérer ces déjections en les évacuant rapidement des bâtiments et en les stockant dans des cuves, pour éviter que le gaz ne s'échappe dans l'atmosphère. Celles-ci peuvent ensuite être valorisées dans les champs, comme engrais, ou dans des méthaniseurs pour produire du gaz renouvelable – qui peut ensuite être transformé en chaleur, en électricité, ou en carburant pour véhicules.
Autonomie des fermes
Autre source d'émission, plus indirecte : les cultures dédiées à l'alimentation des animaux. Selon l'Institut de l'élevage, 7 à 10 % des émissions proviennent de leur fertilisation avec des engrais azotés, qui émettent également du protoxyde d'azote. “La directive nitrate a permis de réduire le recours à ces engrais, mais on peut encore progresser, notamment en plantant plus de légumineuses, qui captent et fixent l'azote dans les sols”, relève Jean-Baptiste Dolle. L'agriculture bio permet aussi de supprimer, plus radicalement, tout apport d'engrais azoté.
Quant aux 15 % d'émissions restantes, elles sont composées de CO₂. Son origine ? D'abord, les importations d'aliments pour nourrir le bétail. Et en premier lieu, le soja, massivement importé d'Amérique : Brésil, Argentine, Etats-Unis... En plus du bilan carbone lié à son transport et à sa transformation, cette culture est une cause majeure de déforestation, notamment en Amazonie. Une déforestation qui détruit la biodiversité, et libère des tonnes de CO₂ naturellement stockées dans ces forêts. Pour éviter ce fléau, une solution est d'augmenter l'autonomie des fermes françaises, en produisant sur place les protéines nécessaires aux animaux d'élevage : soja, colza, légumineuses... Ou au moins de s'approvisionner le plus localement possible.
Enfin, dernière source d'émissions de CO₂ : les consommations d'énergie au sein de l'exploitation, notamment pour les tracteurs, et le transport des animaux vers l'abattoir.
Réduire le cheptel
Peut-on réduire ces émissions en améliorant les pratiques de l'élevage ? “En jouant sur tous les leviers, on peut diminuer de 20% notre impact carbone d'ici 2030, ce qui nous permet d'être en phase avec la stratégie nationale bas carbone, assure Jean-Baptiste Dolle. “L'objectif, dans un premier temps, est d'embarquer les producteurs dans cette démarche, puis d'aller encore plus loin d'ici 2050 avec, par exemple, l'agroforesterie ou la génétique.”
Pour répondre aux objectifs de neutralité carbone*, que l'Union européenne vise à l'horizon 2050, l'agriculture devra en effet faire plus : elle est sommée de réduire de 46% ses émissions.
Pour soutenir cet effort, l'Institut de l'élevage a lancé en 2015 le Label bas carbone. 1300 fermes l'ont déjà obtenu, sur 16.000 exploitations engagées dans une démarche de réduction de leurs émissions. Thierry Bertot a fait partie des premiers éleveurs à participer à ce programme « fermes laitières bas carbone ». Avec son frère, il élève 90 vaches en Normandie, près de Rouen. Son premier bilan carbone, il y a bientôt dix ans, le situait déjà sous la moyenne nationale, avec 0,77 kg de CO₂ par litre de lait. “On a beaucoup travaillé avec un groupe d'éleveurs laitiers sur les économies d'énergie, explique-t-il. On a une bonne autonomie sur la ferme, avec le quart de notre surface dédiée à l'alimentation du troupeau, en pâturages et en maïs ou autres cultures pour l'hiver. Si on veut faire encore mieux, on peut planter plus de légumineuses pour réduire les engrais... et implanter encore plus de prairies.”
Pourquoi des prairies ? Car celles-ci stockent du CO₂, et compensent donc en partie les émissions de l'élevage. A condition qu'elles soient préservées, et qu'elles ne soient pas mises en culture ni artificialisées au bout de quelques années... Selon Cyrielle Denhartigh, chargée de l'agriculture au Réseau action climat (RAC), “l'élevage extensif et le recours au pâturage maintiennent des prairies qui ont plusieurs bénéfices : la séquestration du carbone dans les sols, mais aussi la protection contre l'érosion, et l'adaptation au changement climatique en créant des micro-climats plus frais et en stockant naturellement la ressource en eau.”
Malgré tout, ces prairies ne pourront pas tout compenser.
“Le levier le plus important, si on veut avoir une chance d'atteindre nos objectifs climatiques, est de réduire le cheptel d'au moins 50%”.
En clair, même avec une viande « décarbonée », il faudra indéniablement manger moins de steaks... “Mais attention, ça ne veut pas dire tuer l'élevage”, poursuit l'experte. Le RAC milite ainsi pour une transition vers un modèle plus durable : de petites fermes, plus extensives, avec plus de pâturages, et employant plus de personnes. “C'est une question de volonté politique et d'accompagnement des éleveurs, estime Mme Denhartigh. Hélas, la dernière PAC [politique agricole commune de l'UE] a loupé le coche…”
* Neutralité carbone : équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et leur absorption (zéro émissions nettes).