24 heures dans la vie d’un jeans
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C’est le vêtement le plus porté au monde… Mais aussi un désastre écologique et social. On le sait peu, mais avant d’arriver sur nos gambettes, nos jeans ont parfois fait le tour du monde, au détriment de l’environnement. Et les conditions dans lesquelles ils sont produits mettent parfois en danger les ouvrier(es) du textile.
Le début de l'histoire avait pourtant tout d’un conte de fée. La saga commerciale du blue jeans débute aux Etats-Unis, à la fin du 19ème siècle. De grandes marques - Lee Cooper ou Levi’s - y démocratisent cette pièce pratique et bon marché auprès des fermiers, des ouvriers ou des mineurs. Dès les années 1920-1930, c’est toute la société américaine qui est conquise ! Et l’Europe à son tour, après la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui, plus de 2 milliards de jeans sont vendus dans le monde chaque année, soit
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par seconde !
Pour mieux comprendre le problème, remontons à la source. Elle se trouve dans les champs de coton, la matière principale des jeans. “Les principaux producteurs de coton dans le monde sont la Chine, l’Inde et les Etats-Unis”, explique Amutha Karuppuchamy, professeur adjointe au département des textiles et de la conception de vêtements de l'université Bharathiar, en Inde. Problème : cette culture est l’une des plus polluantes.
“Le coton utilise plus de pesticides que de nombreuses autres cultures. L'utilisation d'engrais chimiques la rend non durable. (...) Elle consomme d'énormes quantités d'eau. La dégradation des sols, l'érosion des sols, la perte de forêts et d'habitats sont d'autres impacts (...)”
Une fois récolté, le coton part à la filature. Puis les fils sont teintés, avant de servir à tisser la toile qu’on appelle “denim”. Cette teinture est souvent obtenue grâce à l’ajout de produits de synthèse contenant des métaux lourds et du chlore, dangereux pour la santé, et qui sont parfois rejetés tel quel dans les cours d’eau, notamment en Asie du sud-est, comme l’a montré le documentaire River Blue (2017). Puis le tissu est découpé et les pièces assemblées.
L’ “embellissement” ou “anoblissement”, qui consiste à donner un aspect délavée à la pièce par exemple, est très problématique : il nécessite souvent des pratiques dangereuses pour l’ouvrier et très polluantes. Le sablage par exemple, qui permet de donner un aspect vieilli, consiste à propulser à très haute vitesse du sable sur le tissu. Elle est dangereuse : les particules fines de silice se logent dans les poumons des travailleurs ! Désormais interdite dans de nombreux pays, elle pourrait perdurer clandestinement, en Chine par exemple.
Dans le pays où sont assemblés les jeans, en Tunisie par exemple, on ajoute des rivets (qui servaient historiquement à renforcer ce vêtement fétiche des ouvriers et des fermiers, mais n’ont plus aujourd’hui qu’une fonction esthétique), des boutons, et des fermetures éclairs. Problème : “ces garnitures rendent le recyclage plus difficile et sont une cause fréquente d'échec, c'est-à-dire la raison pour laquelle les jeans sont jetés sans être recyclés”, regrette Sarah Gray, analyste au sein de l’ONG environnementale britannique Wrap.
À ce stade de la vie du denim, celui-ci a déjà voyagé peut-être plus que vous ne le ferez dans toute votre vie !
Chacune de ces opérations est en effet souvent réalisée dans un pays différent ! Du coton qui a poussé en Chine peut être filé au Pakistan, puis les fils teints en Bulgarie, tissés à Taïwan, la pièce assemblée et “embellie” au Bangladesh ou en Chine, avant d’être envoyée en Europe en magasin ! En moyenne, nos jeans parcourent 65 000 kilomètres entre le champ de coton et notre armoire, selon les chiffres de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) en France, consommation d’énergies fossiles et gaz à effet de serre à la clé.
Autre problème de taille, la production des jeans nécessite énormément d’eau : environ 3 781 litres d’eau, estime le Programme des Nations unies pour l'environnement (UNEP). Soit
31 baignoires pour un seul pantalon !
Pour adopter un mode de consommation plus responsable tout en continuant à porter votre pantalon fétiche, il existe des pistes. La première : moins consommer. Si vous achetez, délaissez les firmes de fast fashion et les jeans à bas prix. Achetez moins, mais mieux ! Pensez aussi aux plateformes de seconde main. Et choisissez votre jeans en toile brute !
Du côté de l’industrie de la mode, sans qui aucune amélioration n’est possible, les lignes bougent lentement. La Fondation Ellen Mac Arthur propose “The Jean redesign”, un guide pour l’aider à concevoir des jeans adaptés à l’économie circulaire, en coton organique, où les coutures sont renforcées, avec des alternatives aux rivets, et des techniques de broderie facilitant le recyclage. Certaines marques proposent aussi des jeans plus éco-friendly, en coton bio, en lin, en Refibra (faits à partir de jeans recyclés) ou produits localement !