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Quel est le vrai coût du gaspillage alimentaire ?
10 min
A l’échelle mondiale, ces gâchis ont un impact économique, environnemental et humain très important.
Un yaourt périmé jeté par là, des fruits et légumes oubliés au fond d’un réfrigérateur par-ci, une assiette dont les restes terminent à la poubelle… Quotidiennement, ces gestes paraissent sans conséquence. Mais à l’échelle d’une planète, ils représentent une véritable montagne de nourriture encore consommable gâchée. Près de 17 % des aliments produits terminent ainsi à la poubelle des ménages, des détaillants, des restaurants et autres services alimentaires, selon un rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) publié en mars 2021. C’est ce qu’on appelle le « gaspillage alimentaire ». Il représente ainsi pas moins de 931 millions de tonnes par an. L’équivalent de 23 millions de camions de 40 tonnes chargés à pleine capacité, en file indienne, ce qui permettrait de faire 7 fois le tour de la Terre ! Soit en moyenne 121 kilos de denrées alimentaires gaspillés chaque année par consommateur, dont plus de la moitié (61 %) au niveau du foyer (le reste dans la restauration ou les points de vente au détail).
Un fléau qui touche tous les pays
Un triste constat qui concerne tous les pays, et non pas que les pays riches, contrairement à une idée bien ancrée. Ainsi, le Nigeria arriverait en tête des pays où le gaspillage alimentaire est le plus important avec 189 kilos de nourriture gâchée par personne chaque année, contre 89 kilos en France par exemple. « Ce gaspillage peut être dû à de nombreux facteurs : une taille des portions excessives, un manque de planification, de compétences culinaires, de connaissances sur le stockage, de compréhension des étiquettes de date, etc. », détaille Liz Goodwin, directrice de la perte et du gaspillage alimentaires pour le World Resources Institute (WRI), une cellule de réflexion américaine sur les questions environnementales.
931 millions
de tonnes
C’est la production alimentaire gaspillée chaque année. Soit l’équivalent de 23 millions de camions de 40 tonnes chargés à pleine capacité, en file indienne, ce qui permettrait de faire 7 fois le tour de la Terre.
A ce « gaspillage alimentaire », il faut ajouter les « pertes alimentaires ». Celles-ci se situent au niveau de la chaîne logistique entre la production des aliments et la vente au détail. Selon l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), cela concerne 14 % des aliments produits dans le monde (auxquels il faut ajouter 17 % supplémentaires qui seront ensuite gaspillés). Ces pertes peuvent par exemple être dues aux « mauvaises techniques de récolte, de stockage, au manque d'infrastructures de la chaîne du froid, aux mauvaises infrastructures routières, à la mauvaise gestion des stocks, etc. Et elles ont tendance à être plus importantes dans les pays en développement », note Liz Goodwin.
Attention cependant, les méthodologies de calculs diffèrent selon les pays. Elles empêchent donc d’établir une comparaison directe. En France, on comptabilise uniquement le gaspillage d’aliments solides jetés à la poubelle, alors que les britanniques, par exemple, mesurent aussi ce qu’ils jettent à l’évier (lait, soupe, sauce, etc.). Il a donc été longtemps difficile d’évaluer les progrès de façon précise. Mais récemment, le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) et la FAO ont créé l’outil qu’il manquait : une méthodologie de calcul unique. Les premiers rapports obtenus grâce à « l'indice de perte alimentaire » et « l'indice de gaspillage alimentaire » ont été publiés en octobre 2019 et mars 2021. Les Etats disposent maintenant de données cohérentes et comparables, à eux désormais de s’en emparer.
Un coût humain, écologique, et économique
Au niveau mondial, les pertes et le gaspillage de nourriture sont considérables. Et l'impact humain, écologique, et économique, énorme. C’est d’abord une catastrophe sociale, alors que 768 millions de personnes ont souffert de la faim en 2020 (soit plus de deux fois la population des Etats-Unis), et que près de 40 % de l’humanité ne peut se nourrir convenablement. Mais aussi une aberration écologique, à l’heure où la lutte contre les dérèglements climatiques s’avère primordiale. Des ressources (en eau, en territoires agricoles…) ont été gaspillées, de la pollution et des gaz à effet de serre ont été générés, pour rien. Selon Liz Goodwin, du WRI, les pertes et gaspillages alimentaires représentent « 8 à 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un quart de l'eau utilisée dans l'agriculture, et monopolisent l’équivalent de la taille de la Chine en terres agricoles. » Enfin, les pertes économiques sont énormes. « Plus de 1 000 milliards de dollars chaque année. Cela représente par exemple 700 livres (ndlr 974 dollars) par an pour un ménage moyen avec deux enfants au Royaume-Uni », estime Liz Goodwin. En 2017, le Mexique gâchait 491 milliards de pesos (environ 24 millions de dollars), soit environ 2,5 % du produit intérieur brut, en pertes et gaspillages alimentaires.
« Les pertes et gaspillages alimentaires représentent 8 à 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un quart de l'eau utilisée dans l'agriculture, et monopolisent l’équivalent de la taille de la Chine en terres agricoles ».
Repenser notre rapport à l’alimentation
« C’est tout notre rapport à l’alimentation qu’il faut changer dans sa globalité, affirme Eric Birlouez, sociologue français de l’alimentation. Nous devons retrouver son caractère vital et humain, par exemple en montrant celui qui produit, en cultivant nous-même, en ajoutant ce savoir à celui enseigné à l’école, en apprenant à cuisiner, etc. » Si le gaspillage alimentaire est loin d’être nouveau, son ampleur a explosé à partir des Trente Glorieuses : « La modernisation de l’agriculture et de l’industrie a permis de produire beaucoup plus, à un prix toujours plus faible. Or, on gaspille plus ce à quoi on attribue moins de valeur », pense le sociologue. Dans cette nouvelle société de consommation, les modes de vie ont changé : « l'urbanisation a éloigné les consommateurs des producteurs, on ne sait plus comment est produite la nourriture, on prend moins le temps pour accommoder les restes...» Les ressorts mis en place par le marketing de la grande distribution poussent aussi à acheter au-delà du besoin, par des promotions par exemple, et valorisent les fruits et légumes à l’aspect parfait, au risque de gaspiller.
Ces dernières années, plusieurs pays ont tenté de s’emparer du problème. En France, la loi Garot sur le gaspillage alimentaire de 2016 a par exemple obligé la grande distribution (puis la restauration collective et l’industrie agroalimentaire) à donner ses invendus alimentaires à des associations au lieu de les détruire, une première mondiale ! La sensibilisation des citoyens et des entreprises permet aussi l’émergence d’initiatives. Au Danemark, le groupe Facebook “Stop Spild Lokalt” permet à des particuliers de donner leur surplus de nourriture dans 120 villes du pays. « Nous sauvons 30 tonnes de produits chaque jour », estime Rasmus Erichsen, son fondateur. L’application Too Good To Go, née à Copenhague, permet aux magasins de revendre à bas prix leurs invendus, et se développe aujourd’hui dans une quinzaine de pays comme la France, l’Espagne, la Pologne, ou encore le Canada et les États-Unis.
« La modernisation de l’agriculture et de l’industrie a permis de produire beaucoup plus, à un prix toujours plus faible. Or, on gaspille plus ce à quoi on attribue moins de valeur. »
Dans les pays en développement, un meilleur accès aux chambres froides est une piste pour réduire les pertes alimentaires. Au Kenya, la start-up Solar Freeze propose aux petits producteurs de stocker leurs récoltes dans un frigo mobile qui fonctionne à l’énergie solaire. En Ethiopie, la FAO aide les agriculteurs à installer des silos métalliques et à utiliser des sacs hermétiques pour le stockage des grains. Pour lutter contre les pertes de produits alimentaires durant le transport, cette même organisation de l’ONU a lancé un projet de distribution de caisses en plastique empilables et emboîtables pour améliorer le transport de fruits et légumes frais dans plusieurs pays d’Asie du Sud et du Sud-Est. L’ONU, dans le cadre de ses Objectifs de développement durable, espère réduire de moitié les pertes et le gaspillage alimentaire d’ici 2030.
Chacun a un rôle à jouer, à son échelle. « Rédigez une liste avant de faire vos courses selon ce que vous avez déjà, utilisez les restes, conservez mieux les produits, par exemple, les pommes placées au frigo s'abîment moins rapidement », égrène Liz Goodwin. Vous pouvez aussi apprendre à décrypter les dates de péremption, de consommation ou date limite d’utilisation optimale, pour mieux anticiper la fin de vie de vos produits, et surtout éviter de jeter ceux qui peuvent encore être consommés.