Hero banner custom title
Quel est l’impact environnemental des huiles essentielles ?
4 min
On les utilise depuis des générations, mais leur récente popularité a fait monter la demande en flèche et a vu naître une vague d’aromathérapeutes autodidactes… souvent au détriment de la nature.
Il y a une vingtaine d’années, il était bien difficile de trouver des huiles essentielles en dehors des magasins spécialisés ou de certains étals de marché. « Hier, ces produits étaient utilisés sous l’œil vigilant d’aromathérapeutes qualifiés et certifiés ; ils sont désormais popularisés par des sociétés de marketing relationnel, et sont entrés sur le marché en fanfare », affirme la professeure Anjanette DeCarlo, spécialiste de l’étude de l’environnement. « Ces entreprises ont bouleversé l’accès aux produits et l’utilisation qu’en font les gens. » De fait, les consommateurs en mettent désormais dans des diffuseurs, dans leur lessive, dans leurs produits ménagers, sur leurs draps, et les ingèrent même par voie orale. Malheureusement, l’ampleur de la demande pèse lourdement sur l’offre.
Surexploitation et monoculture
Certaines huiles essentielles proviennent de plantes sauvages poussant en forêts, en zones humides ou à haute altitude. Le processus de création fragilise ces plantes : on les détruit (c’est le cas des arbres de santal, qui sont entièrement abattus) ou on les récolte en partie (on entaille ainsi l’écorce de l’arbre à encens pour en extraire la sève). La professeure DeCarlo estime qu’il s’agit là de deux méthodes alarmantes à surveiller de près. « Nous avons tendance à nous emballer pour la moindre tendance, pour le moindre remède naturel à la mode », pense-t-elle. Or l’exploitation et la récolte excessive de ces espèces sauvages les exposent aux infections et aux attaques d’insectes, si bien que certaines d’entre elles sont désormais menacées ou en voie de le devenir. « C’était le cas des arbres de santal avant qu’ils ne soient cultivés dans des plantations », souligne-t-elle.
La culture industrielle des huiles essentielles a elle aussi un impact sur l’environnement, même si ses conséquences sont différentes. Un champ de roses est certes beau et odorant, mais ce type de monoculture nuit à la biodiversité – et à la nature sauvage de la plante. « Lorsqu’une plante est cultivée, elle voit son génome et sa nature sauvage se réduire, et sera potentiellement incapable de pousser sans soutien chimique à l’avenir », explique la professeure DeCarlo. En plus de la monoculture, nous avons donc affaire à des plantes cultivées avec des engrais de synthèse qui tuent les micro-organismes naturels du sol. Les répercussions de ces pratiques peuvent être désastreuses pour la planète. L’humain a besoin d'un microbiome intestinal sain pour digérer les aliments ; de la même manière, le sol a besoin d'un microbiome robuste peut faire pousser des cultures, pour absorber et piéger le dioxyde de carbone atmosphérique, et pour avoir un impact positif net sur l'environnement. Les sols trop travaillés et trop fertilisés rejettent au contraire le CO2 dans l'atmosphère.
50
Il faut 50 pétales pour produire une seule goutte d’huile essentielle de rose.
L'agriculture n'est que la première étape de la chaîne de valeur des huiles essentielles. « Les entreprises se vantent souvent du fait qu'il faut cinquante pétales pour créer une seule goutte d'huile de rose ౼ et lorsque j’y pense, je me dis : ouah, ça fait beaucoup de matière végétale », insiste la professeure DeCarlo. « Une matière végétale qui doit être expédiée aux quatre coins du monde vers des distilleries et des entrepôts, ce qui, en soi, engendre une énorme empreinte carbone. »
Transparence et traçabilité
Les consommateurs peuvent aujourd’hui s'approvisionner en aliments de manière responsable ; rien ne les empêche donc de rechercher des huiles essentielles produites de manière tout aussi responsable. Il faudrait pour ce faire soutenir les entreprises qui favorisent l'agriculture régénératrice et la distillation à la source ; acheter des huiles fabriquées en « petites séries », cultivées et produites en circuit court (si possible) ; et surtout choisir des marques qui fournissent de réelles données sur la durabilité. « Les consommateurs doivent choisir des entreprises qui prouvent qu’elles œuvrent pour le développement durable : rapports environnementaux, certifications d'organismes appropriés attestant de la durabilité des produits (comme le label FAIRWILD), certification biodynamique et biologique. De leur côté, les marques doivent fournir des informations substantielles sur la provenance de leurs ingrédients, sur leur impact environnemental et sur la façon dont elles régénèrent la base végétale », affirme la professeure DeCarlo.
Selon DeCarlo, ces « preuves » se perdent souvent dans un océan de greenwashing. Mais les entreprises de pointe révolutionnent l’accès à la transparence. Les produits de Pacha Soap Co., par exemple, comportent un code QR qui permet aux consommateurs de se renseigner sur les sources d'approvisionnement de la marque. La professeure DeCarlo est elle-même à la tête d’un projet qui la passionne : l’initiative « Save Frankincense » (sauver l’encens), qui opère en partenariat avec des organisations somaliennes et américaines. Son but : mettre en place une blockchain permettant de retracer toute la chaîne de valeur de l'encens. Cette technologie offre une traçabilité sans précédent : elle permet de savoir où l’encens a été distillé, mis en bouteille, récolté ౼ et peut même retrouver son arbre d’origine.
Une nouvelle pollution des cours d’eau ?
L’impact de l’incroyable popularité des huiles essentielles commence tout juste à se faire sentir, et certaines de ces conséquences n’ont pas encore été prises en compte par les autorités compétentes : on pense notamment aux problèmes liés à la post-consommation. « On nous explique qu’il ne faut pas jeter les médicaments dans les toilettes parce qu’ils polluent nos cours d’eau ; mais nous n’avons pas pris le temps de réfléchir à l’impact environnemental du rejet des huiles essentielles dans l’environnement », note la professeure DeCarlo, évoquant l’impact des huiles essentiels non utilisées (ou présentes dans les savons, les lessives et autres produits de ce type) lorsqu’elles sont rejetées dans les égouts. « Il s’agit là d’une inquiétude tout à fait justifiée, qui doit être prise en compte au plus vite. »