En Suède, la décarbonation du bâtiment a une longueur d'avance
10 min
Le pays a largement réduit ses émissions de CO2 liées à la construction et à la consommation d'énergie dans ses bâtiments. Au point de faire figure de modèle en Europe.
La Suède, ce pays qui flirte avec le cercle polaire, est depuis longtemps rompu à l'art de s'abriter du froid. Serait-ce une des raisons pour laquelle le royaume scandinave se montre aujourd'hui si exemplaire en termes de consommation énergétique de ses bâtiments ? Construction, isolation, chauffage... La décarbonation de ce secteur y est, sans conteste, en avance sur ses voisins européens.
Et l'enjeu est de taille : le secteur du bâtiment est généralement un poids lourd des émissions de gaz à effet de serre. Selon un rapport du Haut conseil pour le climat, publié en novembre 2020, il produit plus du tiers des émissions de CO2 en Union européenne, et plus du quart en France. Il constitue donc un levier clé pour lutter contre le dérèglement climatique et atteindre la neutralité carbone*, visée par l'UE en 2050. Un autre rapport, de l'ONU cette fois, rapportait fin 2020 que pour atteindre cet objectif, « les émissions directes** de CO2 du secteur doivent chuter de 50% d'ici 2030, et les émissions indirectes, de 60% ». Une rupture majeure, en somme.
⅓
Le secteur du bâtiment émet un tiers des émissions de CO2 de l’Union européenne.
En Suède, ce chemin est d'ores et déjà bien entamé. Prenons le chauffage : selon l'Agence nationale de l'environnement, ses émissions de CO2 ont diminué de 90% entre 1990 et 2019, pour atteindre 885.000 tonnes équivalent CO2. Soit environ 2% des émissions nationales... Comment Stockholm a-t-elle réussi cette prouesse ? En actionnant deux leviers : les économies d'énergie, et le passage aux énergies renouvelables.
Une efficacité énergétique
Dès les années 1960, la Suède entreprend d'améliorer l'efficacité énergétique de ses bâtiments. Selon le Haut conseil pour le climat, le pays met alors en place des normes exigeantes en matière de performance énergétique, notamment dans la construction de bâtiments neufs. Épaisses couches d’isolants, triple vitrage… Ces normes sont, aujourd'hui encore, plus élevées en Suède qu'en France.
Si le pays a bel et bien pris de l’avance, il doit néanmoins accomplir encore d'importants efforts : seules 15% des maisons individuelles et 5% des immeubles d'habitation atteignent pour l’instant la norme BBC (bâtiment basse consommation). En 2020, la Stratégie nationale suédoise de rénovation énergétique a pointé l'urgence d'accélérer ces travaux, surtout pour les ménages les plus modestes, qui habitent souvent dans des logements moins bien isolés. Un immense chantier attend la Suède dans les années à venir : la rénovation énergétique de son « Miljonprogrammet », un million de logements sociaux construits entre 1965 et 1974. Le promoteur et propriétaire immobilier Rikshem AB, en charge du programme, ambitionne de devenir neutre en émissions de CO2 d’ici à 2030.
Un chauffage plus sain
En parallèle, la Suède a très tôt mis en marche une transition énergétique ambitieuse. Dans les années 1970, confrontée aux deux chocs pétroliers, elle s'empresse de réduire sa dépendance au pétrole, misant alors sur le nucléaire, les énergies renouvelables, mais aussi le charbon. En 1991, nouveau sursaut : le pays scandinave lance une grande réforme fiscale, qui instaure, en plus d'une taxe énergétique, une taxe carbone. Celle-ci n'a cessé d'augmenter depuis, pour atteindre le prix particulièrement élevé de 120 euros la tonne de CO2. Elle pénalise ainsi les énergies les plus émettrices... comme le charbon et le pétrole.
Autre particularité suédoise : les réseaux de chaleur, dont le premier a été construit dès 1948, se sont généralisés dans les villes, sous l'égide d'entreprises publiques municipales. D'abord alimentés au fioul, puis au charbon, ces réseaux collectifs misent désormais largement sur les énergies renouvelables. Ils sont alimentés pour moitié environ par la combustion de biomasse – issue de l'industrie forestière -, mais aussi par l'incinération des déchets, les pompes à chaleur ou la récupération de la chaleur produite par des industries. Résultats : moins d'émissions de CO2, mais aussi un air plus sain et respirable dans les villes !
En Suède, la part du pétrole dans l'utilisation finale d'énergie par le secteur résidentiel est passée de 72% en 1970 à 7% en 2019.
Aujourd’hui, 90% des immeubles et près de 20% des maisons individuelles sont raccordés à ces réseaux de chaleur. Dans les logements non raccordés, les pompes à chaleur, l'électricité ou le bois sont, de loin, les sources d'énergie privilégiées pour se chauffer. En parallèle, la part du pétrole dans l'utilisation finale d'énergie par le secteur résidentiel a été divisée par dix, passant de 72% en 1970 à 7% en 2019, selon l'Agence suédoise de l'environnement.
Vers une construction zéro-émission ?
Efficacité énergétique, chauffage... et construction. Dans ce dernier domaine aussi, la Suède fait des efforts remarqués. « Le gouvernement a commencé à étudier comment réduire l'empreinte carbone des engins de construction, qui représentent aujourd'hui près de 6% des émissions du pays », relate Per Dyfvelsten, analyste à l'Agence suédoise de l'énergie. Au-delà de l'impact de ces engins – qui peuvent fonctionner à l'électricité pour réduire leurs émissions –, des projets de grande ampleur visent également les matériaux de construction. « Il y a déjà des produits disponibles qui permettent de réduire l’impact climatique du béton », précise Per Dyfvelsten, qui cite notamment un industriel, Heidelberg Cement Group: celui-ci a récemment annoncé son intention de développer la première usine de ciment neutre en carbone. Son installation, prévue en 2030, devrait capter 1,8 millions de tonnes de CO2 chaque année pour les stocker en profondeur dans la roche, au lieu de les relâcher dans l’atmosphère.
Autre matériau massivement employé, l'acier. En Suède, deux géants de l'industrie sidérurgique et une compagnie d'électricité se sont associés en 2016 pour produire un acier décarboné. Eux n'ont pas misé sur la capture et le stockage du CO2, mais sur un nouveau procédé industriel, impliquant un investissement colossal : au lieu de faire fondre le minerai dans des hauts-fourneaux chauffés au charbon, ils prévoient d'utiliser des fours électriques fonctionnant avec des énergies renouvelables. Cette décarbonation de l'acier « devrait permettre de réduire les émissions des sidérurgistes de 35 millions de tonnes de CO2, soit deux tiers de l’empreinte climatique du royaume », selon un article du Monde.
Peu à peu, ces ambitions prennent corps... En 2020, est sorti de terre le premier bâtiment certifié zéro CO2 par le Sweden green building council – une ONG regroupant des entreprises suédoises du BTP autour d'objectifs environnementaux. Il s'agit d'un supermarché Lidl construit à Visby, sur l'île de Gotland. Pas d'acier ni de béton décarboné ici, mais beaucoup de bois, et plusieurs astuces permettant à ce bâtiment d'être neutre en carbone, de sa construction jusqu'à son usage final. Pour y parvenir, les émissions sont réduites au minimum, par exemple en utilisant des lampes plus économes, ou en récupérant la chaleur du bâtiment. Quant aux émissions restantes, elles doivent être compensées, notamment en produisant plus d'énergies renouvelables que le bâtiment n'en consomme. Le toit est ainsi couvert de végétation… et de panneaux solaires.
* Neutralité carbone : équilibre entre les émissions de CO2 d'origine humaine et son extraction de l'atmosphère.
** Les émissions directes étant ici liées à l'utilisation de charbon, de pétrole et de gaz ; et les émissions indirectes, à la production d'électricité.